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Poigne gay, les origines d’un sobriquet

Poigne gay, les origines d’un sobriquet

                   Je vois Bru Casse-voix se mettre à l’écart et se proposer pour prendre le premier tour de garde. Il ne faut pas être grand clerc pour deviner que notre bonhomme a mal pris nos refus répétés de l’entendre pousser la chansonnette. Nos quolibets ont fini par l’atteindre. J’hésite à le retrouver et me joindre à lui pour lui faire comprendre que nous n’avons pas tous l’oreille musicale. Que des chanteurs incompris, non reconnus, il y en a autant que des auteurs en mal de reconnaissance, et que je suis bien placé au final pour comprendre sa douleur. Je suis sur le point de le rejoindre mais au moment où je m’apprête à quitter la chaleur de notre feu, je suis devancé par Poigne-gay.

 

- Nous sommes des incompris tous les deux, commence Poigne-gay. Faut pas leur en vouloir, ils sont plus rustauds que méchants.

 

- Sauf que tu faisais partie du lot, toi aussi, lui rétorque Bru.

 

- Faut me comprendre. Pour une fois que c’est pas moi qu’on moque pour mes airs efféminés, ma voix trop haut perchée ou mes regards de biche effarouchée, je me suis joint à la meute. Mais je le regrette et je te fais mes excuses.

 

C’est ainsi qu’a commencé cette nuit particulière… Un rapprochement (en tout bien tout honneur) de deux compagnons…

 

Un peu plus tard dans la nuit, lorsqu’autour du feu, ne règne qu’un concert de ronflements, Poigne se redresse. Il a entendu des chuchotements. Il remarque tout de suite que Bru somnole lui aussi. Depuis combien de temps monte-t-il la garde ? L’heure de la relève a sonné, se dit-il, et il prend sa place en prenant soin de ne pas le réveiller. Mais Poigne entend toujours les chuchotements.

Je sais ce que vous vous dîtes à cet instant, il va réveiller Bru… Eh bien non… Il rêve encore, il ne s’est jamais vraiment réveillé… Eh bien non… Enfin, bon, ne dévoilons pas la chute de ce chapitre avant son terme, voulez-vous…

Poigne-gay scrute les buissons alentours et finit par déceler une ombre qui se détache dans la nuit, dissimulé derrière un fourré. Un guet-à-pent ? Il veut crier, réveiller la petite troupe, mais un souvenir le retient… Celui de sa première aventure, de sa première garde de nuit… C’était en haut d’un mur, il avait entendu des murmures, une nuit de semi lune comme cette nuit. Pourtant il ne rêve pas, et ne revit pas ce pan du passé (votre conteur s’y est engagé). Ce souvenir le tétanise, le retient, l’empêche d’agir.

C’est que cette nuit-là, il avait bien donné l’alerte. Ses compagnons, extirpés de leur sommeil, avaient fait le tour avec lui pour y trouver d’éventuels sauvageons, gobelins ou autres kobolds (il n’était alors que premier niveau, on n’allait tout de même pas lui mettre un dragon ou une liche dans les pattes !). Mais dans un premier temps, on ne découvrit rien… L’un de ses compagnons d’aventure, un barbare du nord répondant au nom de Krom (à moins que ce ne soit son dieu ? Avec le temps, il avait fini par oublier), avait alors effectué avec lui une ronde pour s’assurer d’aucune présence maléfique. Il était beau, ce Krom, musclé à souhait, toujours torse nu à exhiber ses pectoraux saillants, portant sur le dos une cape de fourrure dans laquelle notre gay luron rêvait chaque nuit de se nicher, sous les aisselles velues de notre gaillard, dissimulé sous sa pelisse. La ronde a pris un tour érotique et reste à ce jour le plus beau moment de sa vie lorsque notre barbare, aussi apeuré que lui (niveau 1 également, touchant derrière ses airs de gros costaud), lui confie ses doutes et son appréhension. Poigne lui propose de faire cette ronde en lui tenant la main, pour le rassurer, comme un père le ferait avec son enfant… De doux moments de complicité partagés, qui tournent au cauchemar lorsque les autres finissent par les surprendre, main dans la main, à fouiller les fourrés, en quête d’improbables ennemis.

Ils furent alors couverts de quolibets, Krom se joignant à eux pour « faire genre ‘je l’ai piégé’ », riant de bon cœur, le blessant à jamais… C’est de cette nuit particulière de garde ratée que son surnom de « Poigne-gay » lui fut attribué. Son plus beau et plus douloureux souvenir…

Il repense à cet épisode marquant de son passé en se dirigeant vers le fourré derrière lequel l’ombre vient de se passer. Il ne peut deux fois se couvrir de ridicule en donnant l’alerte pour rien. Et puis, cette silhouette lui est vaguement familière… Imposante, mais familière. Il s’avance, la main sur la garde de sa dague, et écarte brusquement le buisson. Il se trouve alors nez-à-nez avec un barbare du nord, armé d’une morning star imposante, et ne portant pour tout vêtement qu’un slip en daim et une cape de fourrure… Krom… Voilà qui explique pourquoi la silhouette lui était familière, pourquoi il n’a pas donné l’alerte, pourquoi il repensait à son doux barbare. Depuis cette nuit-là, il ne rêve que d’une chose, le retrouver, poursuivre sa ronde en sa compagnie, main dans la main… Son rêve est en train de prendre forme. Ce n’est pas possible, il va se réveiller !

Mais vous écoutez pas, ou vous le faîtes exprès ? Je vous ai assuré qu’il ne rêvait pas. Poigne lui-même en doute, mais tout est bien réel.

 

- Pincez-moi, je rêve ! Krom ? C’est bien toi ?

 

A son nom, Krom sourit, se redresse et le pince au gras du bide d’un air taquin. Il mesure bien deux mètres de  haut. Il est encore plus impressionnant, plus musclé et plus beau que dans ses rêves les plus fous.

 

- Qu’est-ce que tu fiches ici ?

 

- Je monte la garde pour que les confinés de Cow-vide city ne puissent s’échapper ! J’ai cru que tu étais l’un d’eux ! J’ai bien failli t’estourbir d’un coup de masse !

 

Il relève sa massue comme s’il s’agissait d’une vulgaire baguette et la pose négligemment sur son épaule, faisant saillir ses biceps, tout en laissant apparaître la joli petite touffe brune et soyeuse sous ses aisselles. Poigne déglutit difficilement, la température monte d’un cran.

 

- Mais je peux te retourner la question Poigne-gay, qu’est-ce que tu fiches ici ?

 

- C’est une longue histoire… Une quête compliquée… Nous recherchons une succube à occire, qui doit se dissimuler dans l’une des mines de la montagne. Elle a maudit l’un de mes compagnons. Nous devrons traverser Cow-vide city demain en journée. Pourras-tu nous guider ?

 

- C’est que je suis en service la nuit, pas en journée, se défend Krom. Et la cité maudite recèle bien des pièges. Si tu le souhaites, je peux te les montrer, mais maintenant, car au lever du jour, je me repose, et d’autres barbares du nord, moins avenants et moins coopératifs montent la garde !

 

Poigne saisit le sous-entendu. Il se retourne vers ses compagnons endormis et se laisse tenter par l’exploration. Ainsi, demain, ils pourront traverser Cow-vide city sans danger. Il suit le barbare qui redescend vers la vallée maudite, mais un doute encore le fait hésiter.

 

- Tu es sûr qu’il n’y aucun danger ?

 

Krom se retourne vers lui et lui tend la main.

 

- Viens, mon ami, nous allons effectuer cette ronde main dans la main. Je vais veiller sur toi… tu rends un grand service à tes amis, tu es leur avant-garde en quelque sorte. Plus personne ne dira de toi que tu as peur…

 

Poigne se saisit de la main de son beau barbare et dévale le versant de la montagne, un sourire béat sur les lèvres, les yeux pétillant de joie. Il réalise son plus beau rêve, mais il est bien éveillé. Il sent l’air frais sur son visage, il entend les ululements d’une chouette dans le lointain, et il voit la ville nichée au fond de sa vallée, comme dissimulée dans les ténèbres, mais prête à renaître de ses cendres et à frapper.

Bru se réveille juste à temps pour voir son compagnon s’éloigner. Il se saisit de son luth et son épée, et court à sa suite avant qu’il ne soit totalement happé par l’obscurité. Ce qu’il voit alors le laisse sans voix (jeu de mot)… Poigne-gay sautille comme un enfant vers Cow-vide city, les bras ballants, comme s’il tenait la main d’un ami imaginaire…

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