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Les araignées de Breth Harken (suite et fin)

Les araignées de Breth Harken (suite et fin)

« L'arachnide enveloppa sa proie dans une toile épaisse et gluante qui la garderait vivante encore quelques jours. Elle passa le duergar entre ses pattes et d'un curieux mouvement de bassin, parvint à le placer sur son dos.

De leur cachette, les compagnons assistèrent à la scène, à la fois médusés et écoeurés. L'araignée s'apprêtait à quitter les lieux avec Boeuzbrifouille sur son rachis velu. Le pauvre nain allait garnir son garde-manger. Que faire ? Comment réagir ? Zénassi n'était plus en mesure de les guider, encore moins les commander, la décision leur appartenait.

« - Regardez ! Elle quitte son poste de gué, le passage n'est plus gardé, » fit Timor.

« - On ne peut pas le laisser dévorer par cette araignée, rétorqua Morac. Il avait confiance en nous. »

Fenwick fouilla le sac que Boeuzbrifouille avait laissé derrière lui et en sortit une petite fiole au liquide saumâtre.

« - Il n'est pas trop tard pour lui venir en aide, dit il en leur exhibant le flacon sous le nez. Son sac contient un antidote. J'ai subi le même sort, et sans les duergars, je serai comme lui, englué dans une toile, suspendue par les pieds dans une grotte sombre, attendant mon heure. Ils m'ont donné ce même antidote, ils m'ont sauvé. Je ne l'abandonnerai pas. »

Le voleur se saisit d'une torche qui se trouvait également dans le sac et s'enroula le long de la corde avec une agilité qui n'avait rien à envier à Boeuzbrifouille. Il avait par le passé usé de la même technique des dizaines de fois pour passer d'un toit à un autre.

Morac, qui n'avait pas très envie de redescendre jouer les équilibristes, se résigna toutefois à suivre son ami. Il ne pouvait pas le laisser faire face au danger tout seul. Il se tourna vers Timor.

« - Je vais avec lui, prends garde à elle ! dit il en désignant Zénassi. Pas de coup fourré, on a besoin qu'elle demeure en vie pour nous retirer ces foutus colliers! »

Timor acquiesça. Il n'appréciait pas beaucoup l'amazone mais n'était pas stupide au point de l'assassiner dans son sommeil. Sa survie dépendait de la sienne, il avait bien saisi le concept. Fenwick demeura suspendu de longs instants au-dessus du vide, le temps que le monstre disparaisse de son champs de vision, puis il se balança pour prendre de l'élan, et se jeta sur la toile. Les bras devant le visage pour se protéger, il sentit la toile lui résister, se tendre, puis, grâce à son poids et son impulsion, se déchirer. Il roula sur lui-même pour amortir sa chute, et se releva aussitôt, les sens aux aguets, redoutant de voir l'arachnide surgir d'un recoin sombre. Il retira la toile visqueuse autour de ses bras et alluma sa torche. Il repéra l'araignée au fond de la galerie. Son corps massif se détachait de l'obscurité comme une ombre plus sombre que les ténèbres qui l'environnaient, et elle avançait sans se douter qu'elle était suivie.

Morac sauta à son tour, et Fenwick l'aida à se réceptionner. Une fois débarrassés des résidus d'arantèle, ils s'élancèrent à la poursuite de l'arachnide avant qu'il ne disparaisse complètement dans les ténèbres.

 

                   Timor alluma la seconde torche qui se trouvait dans le sac, et décida d'explorer la galerie.

« - Garde un œil sur elle, dit-il à Ulwar. Je reviens. »

L'assassin attendit que son compagnon acquiesce puis il partit sonder le fond de cette mine. Il voulait s'assurer qu'aucune autre noyuda ne traînait dans les parages.

Ulwar profita de ce moment de solitude pour se laisser aller à une petite sieste réparatrice. Le zungarien avait acquis cette faculté de pouvoir dormir quelques minutes dès son plus jeune âge, lorsqu'il embarquait sur les jonques avec d'autres pirates. Il sillonnait les mers avec quelques complices et avait été élevé à la dur pour tenir la barre jour et nuit, guetter l'horizon en quête d'une voile et d'un pavillon, ramer lorsque le vent tombait, lever les filets ou les lignes de pêche lorsqu'ils partaient plusieurs jours. Il y avait toujours à faire, il ne fallait jamais fermer l'oeil, et savoir tirer profit des quelques minutes de répit pour dormir et se reposer, pouvait s'avérer déterminant les heures suivantes en cas de grain ou d'abordage. Il se rappelait parfaitement les conseils de son père lorsqu'il avait pu le suivre pour la première fois sur sa boutre, un esquif à deux petites voiles triangulaires, fendu pour épouser les lames. « Un pirate épuisé est comme un pêcheur qui ne n'aurait plus la force de relever ses filets, il ne verra pas le navire bondé de richesses, et passera à côté de sa bonne fortune. Dors fils, dors dès que tu le peux, dors le plus vite possible avant que la Mort ne te happe ! Mais lorsque tu te réveilles, garde l'oeil ouvert et le bon...»

« Garde l'oeil ouvert… Et le bon... »

« Garde l'oeil ouvert... »

Ulwar s'éveilla d'un coup, s'attendant à trouver son père à ses côtés. Mais ce ne fut pas la silhouette familière de son géniteur qu'il vit au-dessus de lui… Une gueule vorace, déformée par deux mandibules suintant de venin l'observait sans bouger.

 

                   Fenwick courrait, la torche dans une main, l'épée dans l'autre, suivi de Morac, qui avait aussi dégainé sa lame, redoutant que l'araignée ne surgisse d'un coup d'une crevasse, d'une faille ou même du plafond.

La galerie avait fini par bifurquer et l'araignée avait disparu de leur champ de vision.

« - Là ! » désigna Morac en percevant l'arrière train de l'arachnide s'immiscer dans une entaille.

La créature disparut l'instant suivant.

Les deux compagnons s'élancèrent à sa suite mais une fois arrivés devant la brèche, ils se regardèrent, peu rassurés à l'idée de pénétrer à l'intérieur.

« - Il a confiance en nous, déclara Fenwick. On ne peut pas le laisser. »

Morac approuva en serrant les dents. A la place de la Souris, il aimerait, bien sûr, que ses compagnons viennent le chercher. Fenwick passa devant lui, la torche toujours allumée, et il lui emboîta le pas.

Le trou était tapissé d'une matière visqueuse, et pour y entrer, ils furent contraints de se mettre à quatre pattes. La toile recouvrait la roche et leur colla aux mains. Fenwick grimaça de dégoût mais avança, la torche entre les dents. La chaleur de la flamme brûlait son visage mais pour rien au monde il n'aurait renoncé à cette lumière. Il pria pour que l'araignée de l'attende pas à la sortie, ou pire, que le passage ne débouche pas sur la cité de toile qu'ils avaient traversé la veille.

Le tunnel s'élargit, et bientôt, ils purent se relever. Mais il y avait des toiles de tissées dans tous les sens. Fenwick se rappela les paroles de Boeuzbrifouille. Les noyudas ne voient rien, n'entendent rien mais sont très sensibles aux vibrations. Il se retourna vers Morac pour l'inciter à faire attention.

« - Essayons d'éviter les fils qui sont tendus à travers la galerie. Peut-être qu'elle ne nous a pas encore repéré. »

Morac l'espérait mais n'aurait pas parié ses dernières eugords là-dessus. Ils avaient rampé dans un conduit étroit recouvert d'une toile qui avait pu fort bien l'alerter de leur présence.

Il ressortit son épée du fourreau, rengainé le temps de traverser la brèche, et suivit Fenwick en prenant soin de ne toucher aucun des fils tendus à travers le tunnel.

Un froid intense régnait autour d'eux et une odeur de corps en décomposition leur parvint aux narines. Le passage déboucha bientôt sur une large caverne circulaire et ils comprirent l'origine de ces émanations. Des cadavres jonchaient le sol, enchevêtrés dans des os rongés jusqu'à la moelle. Ils se trouvaient dans le garde-manger de la bête. Ils repérèrent le pauvre duergar emmailloté dans un fil gluant et épais, pendu au plafond par les pieds.

« - Où est passée cette saloperie ? » demanda Fenwick en balayant la caverne à l'aide de sa torche.

La réponse lui parvint lorsque la flamme passa près de la paroi. L'araignée, qui se tenait dissimulée dans une nouvelle faille, fut débusquée par le feu, et sortit de sa cachette en émettant un petit sifflement aussi sinistre que terrifiant.

 

                   Ulwar roula sur lui-même et évita de justesse la patte fibreuse qui s'abattait sur lui. La créature était dotée de deux pattes munies de pinces sous son thorax et à un souffle près, elle avait failli l'éventrer. Le colosse entendit la pointe racler le sol à l'endroit où il venait de s'assoupir.

Il rampa à toute vitesse sous l'abdomen de l'araignée, sentant ses poils caresser sa nuque, et s'extirpa de cette position le plus vite qu'il put. Il se retourna, prêt à en découdre, s'attendant à voir le monstre lui faire face. Mais l'arachnide ne s'était même pas retourné dans sa direction. Elle avait trouvé une autre proie… Une proie immobile et offerte… Comme lui quelques secondes plus tôt… Zénassi…

L'araignée grimpa doucement sur la paroi, et s'approcha sournoisement de l'amazone. Ulwar avait laissé sa hache près du sac qui se trouvait à côté de Zénassi. Il était désarmé. Que faire ? Encore quelques secondes et la créature plongerait ses terribles mandibules dans le cou de la jeune femme.

Ulwar se jeta alors sur l'arachnide, saisissant à pleine main l'une de ses pattes arrière. Le contact avec sa peau filandreuse ne lui fit ni chaud ni froid, il en avait vu d'autre. L'araignée se détourna de sa proie et au moment où elle s'apprêtait à y plonger ses crocs, Ulwar tira de toutes ses forces. Il sentit la patte se briser comme un baguette, et le monstre glissa le long de la roche.

Mais une fois sur le sol, la créature se retourna et le chargea. Ulwar, désarmé, n'avait aucune chance.

 

                   Fenwick demeura pétrifié d'effroi devant l'apparition monstrueuse. Le sifflement que la créature émettait lui rappelait le dernier son qu'il avait entendu avant que l'araignée ne plonge ses mandibules dans son omoplate. La douleur se réveilla au même moment dans son épaule, comme si son corps réclamait une nouvelle injection de poison.

La créature ne se trouvait plus qu'à quelques pouces de lui, il pouvait voir ses globes oculaires le fixer avec intensité. Pourquoi ne parvenait il pas à bouger ? Il semblait fasciné… Pétrifié de fascination…

Morac s'interposa au moment où elle tenta de le mordre. Sa lame claqua sur sa gueule entrouverte, et un bout de dent vola dans la caverne. L'arachnide se replia aussitôt mais Morac poussa son avantage en frappant de taille et d'estoc sur son thorax. Un sang épais et sombre coula le long de son corps. La créature émit un nouveau cri, plus strident que le précédent, plus plaintif, puis elle se redressa et contre-attaqua à l'aide des pinces qui se trouvaient à l'avant de son corps.

Morac para, puis d'un coup vif sectionna l'extrémité d'une patte. Emporté par son élan, grisé par son avantage, il ne vit pas le deuxième corps velu, sortir de la faille qui se trouvait à sa droite. Il était parvenu à acculer l'arachnide au fond de la grotte et lorsque celui-ci fut dans l'incapacité de reculer davantage, il plongea son épée dans son thorax répugnant. Il vit les viscères du monstre se répandre sur le sol mais n'eut guère le temps de s'en réjouir car dans l'instant qui suivit, une douleur fulgura dans toute sa colonne vertébrale.
                 

Les araignées de Breth Harken (suite et fin)

L'araignée se redressa pour toiser cet adversaire dont la taille était impressionnante. Elle n'en avait jamais vu de si grand. Plus de deux fois la hauteur d'un duergar, et sûrement deux fois son poids. Un mets de choix, assurément savoureux, qu'elle mettrait plusieurs semaines à dévorer.

Ulwar hésita à fuir, mais ce n'était pas dans la philosophie de vie du zungarien. « Ne jamais tourner le dos à l'ennemi, regarder la Mort en face, ne jamais abandonner un compagnon, défier la Mort à deux. » Il entendait de nouveau les paroles de son père. Quelle étrange concours de circonstance que d'entendre la voix de son géniteur à l'aune de sa vie. Il avait si peu pensé à lui alors qu'il était vivant. Etait-ce l'annonce d'une mort imminente ?

Il se retourna, espérant voir son père l'accueillir au Tridaron, le paradis des guerriers, mais il n'y avait personne, il était seul. Inconsciemment, il avait espéré voir apparaître son ami, Timor, le seul qu'il ait jamais eu, son frère d'armes. Mais malgré la pénombre, la galerie était déserte. Aucune silhouette ne se profilait à l'horizon, et il avait une vue perçante… Il avait passé tant d'heures comme vigie au sommet d'une jonque, qu'il avait appris à voir loin, et bien. Il émit un son sourd du fond de sa gorge pour appeler Timor, ou au moins le prévenir du danger qui rôdait, mais celui-ci ne l'entendrait sûrement pas.

L'arachnide se dressa au-dessus de lui et il leva les bras pour tenter d'intercepter l'attaque. Mais l'araignée lâcha un gémissement strident et plaintif au moment de fondre sur lui, puis elle s'écroula en recroquevillant sous elle, ses pattes fibreuses.

Lorsqu'elle fut à terre, Ulwar perçut derrière le monstre, la silhouette de Zénassi, son épée longue entre les mains, la lame poisseuse de sang.

 

                   Fenwick sortit de sa léthargie lorsque son compagnon fut touché. Il chargea l'araignée qui lui grimpait déjà dessus pour l'entortiller de sa fibre visqueuse. La créature ne le vit qu'au dernier moment, et le voleur put lui porter une série de coups avant qu'elle ne s'enfuit. Il avait entaillé sa carapace à trois reprises avec une telle rage que le sang avait giclé sur lui.

L'arachnide émit une nouvelle stridulation, plus geignarde que les précédentes, et se recroquevilla dans une fissure.

Fenwick profita de ce répit pour s'accroupir près de Morac. Un voile blanc recouvrait son regard mais il respirait encore. Il sortit l'antidote qu'il avait emmené avec lui et lui fit boire la moitié du flacon. Il se redressa aussitôt et se retourna pour surveiller la crevasse où l'araignée demeurait prostrée. Elle était salement touchée, incapable de bouger, aussi terrifiée que lui tout à l'heure. Il voulut l'achever, mais préféra s'occuper de Boeuzbrifouille, toujours pendu au plafond dans son linge d'arantèle.

Il le détacha, le déposa délicatement sur le sol, écartant les restes de victuailles qui avaient servi à nourrir ces monstres, puis il lui arracha la fibre visqueuse qui lui recouvrait le corps. Il constata que son corps était froid, arrivait il trop tard ?

Lorsqu'il put atteindre ses lèvres, il les écarta et lui versa le reste d'antidote au fond de la gorge.

« - Tu n'es pas mort, Boeuz', lui dit il en le secouant. Songe à Shae Drill ! Elle veille sur toi ! Reviens parmi nous ! »

En réponse à ses paroles, son corps convulsa entre ses bras. Il le déposa alors doucement sur le sol, un sourire aux lèvres, persuadé que le duergar était encore en vie.

 

                   Timor entendit le son si caractéristique qu'Ulwar pouvait émettre du fond de sa gorge lorsqu'il était en danger. Il avait rebroussé chemin depuis déjà quelques minutes, la galerie menant à un cul-de-sac, et revenait tranquillement vers eux lorsque le gloussement lui parvint aux oreilles. Il se mit alors à courir, une terrible appréhension lui nouant l'estomac.

Il arriva au moment où Ulwar étreignait chaleureusement Zénassi. Il comprit ce qui venait de se passer en voyant le corps recroquevillé de l'araignée, et l'amazone, l'épée à la main, droite et fière, un pale sourire sur les lèvres. »

« L'arachnide enveloppa sa proie dans une toile épaisse et gluante qui la garderait vivante encore quelques jours. Elle passa le duergar entre ses pattes et d'un curieux mouvement de bassin, parvint à le placer sur son dos.

De leur cachette, les compagnons assistèrent à la scène, à la fois médusés et écoeurés. L'araignée s'apprêtait à quitter les lieux avec Boeuzbrifouille sur son rachis velu. Le pauvre nain allait garnir son garde-manger. Que faire ? Comment réagir ? Zénassi n'était plus en mesure de les guider, encore moins les commander, la décision leur appartenait.

« - Regardez ! Elle quitte son poste de gué, le passage n'est plus gardé, » fit Timor.

« - On ne peut pas le laisser dévorer par cette araignée, rétorqua Morac. Il avait confiance en nous. »

Fenwick fouilla le sac que Boeuzbrifouille avait laissé derrière lui et en sortit une petite fiole au liquide saumâtre.

« - Il n'est pas trop tard pour lui venir en aide, dit il en leur exhibant le flacon sous le nez. Son sac contient un antidote. J'ai subi le même sort, et sans les duergars, je serai comme lui, englué dans une toile, suspendue par les pieds dans une grotte sombre, attendant mon heure. Ils m'ont donné ce même antidote, ils m'ont sauvé. Je ne l'abandonnerai pas. »

Le voleur se saisit d'une torche qui se trouvait également dans le sac et s'enroula le long de la corde avec une agilité qui n'avait rien à envier à Boeuzbrifouille. Il avait par le passé usé de la même technique des dizaines de fois pour passer d'un toit à un autre.

Morac, qui n'avait pas très envie de redescendre jouer les équilibristes, se résigna toutefois à suivre son ami. Il ne pouvait pas le laisser faire face au danger tout seul. Il se tourna vers Timor.

« - Je vais avec lui, prends garde à elle ! dit il en désignant Zénassi. Pas de coup fourré, on a besoin qu'elle demeure en vie pour nous retirer ces foutus colliers! »

Timor acquiesça. Il n'appréciait pas beaucoup l'amazone mais n'était pas stupide au point de l'assassiner dans son sommeil. Sa survie dépendait de la sienne, il avait bien saisi le concept. Fenwick demeura suspendu de longs instants au-dessus du vide, le temps que le monstre disparaisse de son champs de vision, puis il se balança pour prendre de l'élan, et se jeta sur la toile. Les bras devant le visage pour se protéger, il sentit la toile lui résister, se tendre, puis, grâce à son poids et son impulsion, se déchirer. Il roula sur lui-même pour amortir sa chute, et se releva aussitôt, les sens aux aguets, redoutant de voir l'arachnide surgir d'un recoin sombre. Il retira la toile visqueuse autour de ses bras et alluma sa torche. Il repéra l'araignée au fond de la galerie. Son corps massif se détachait de l'obscurité comme une ombre plus sombre que les ténèbres qui l'environnaient, et elle avançait sans se douter qu'elle était suivie.

Morac sauta à son tour, et Fenwick l'aida à se réceptionner. Une fois débarrassés des résidus d'arantèle, ils s'élancèrent à la poursuite de l'arachnide avant qu'il ne disparaisse complètement dans les ténèbres.

 

                   Timor alluma la seconde torche qui se trouvait dans le sac, et décida d'explorer la galerie.

« - Garde un œil sur elle, dit-il à Ulwar. Je reviens. »

L'assassin attendit que son compagnon acquiesce puis il partit sonder le fond de cette mine. Il voulait s'assurer qu'aucune autre noyuda ne traînait dans les parages.

Ulwar profita de ce moment de solitude pour se laisser aller à une petite sieste réparatrice. Le zungarien avait acquis cette faculté de pouvoir dormir quelques minutes dès son plus jeune âge, lorsqu'il embarquait sur les jonques avec d'autres pirates. Il sillonnait les mers avec quelques complices et avait été élevé à la dur pour tenir la barre jour et nuit, guetter l'horizon en quête d'une voile et d'un pavillon, ramer lorsque le vent tombait, lever les filets ou les lignes de pêche lorsqu'ils partaient plusieurs jours. Il y avait toujours à faire, il ne fallait jamais fermer l'oeil, et savoir tirer profit des quelques minutes de répit pour dormir et se reposer, pouvait s'avérer déterminant les heures suivantes en cas de grain ou d'abordage. Il se rappelait parfaitement les conseils de son père lorsqu'il avait pu le suivre pour la première fois sur sa boutre, un esquif à deux petites voiles triangulaires, fendu pour épouser les lames. « Un pirate épuisé est comme un pêcheur qui ne n'aurait plus la force de relever ses filets, il ne verra pas le navire bondé de richesses, et passera à côté de sa bonne fortune. Dors fils, dors dès que tu le peux, dors le plus vite possible avant que la Mort ne te happe ! Mais lorsque tu te réveilles, garde l'oeil ouvert et le bon...»

« Garde l'oeil ouvert… Et le bon... »

« Garde l'oeil ouvert... »

Ulwar s'éveilla d'un coup, s'attendant à trouver son père à ses côtés. Mais ce ne fut pas la silhouette familière de son géniteur qu'il vit au-dessus de lui… Une gueule vorace, déformée par deux mandibules suintant de venin l'observait sans bouger.

 

                   Fenwick courrait, la torche dans une main, l'épée dans l'autre, suivi de Morac, qui avait aussi dégainé sa lame, redoutant que l'araignée ne surgisse d'un coup d'une crevasse, d'une faille ou même du plafond.

La galerie avait fini par bifurquer et l'araignée avait disparu de leur champ de vision.

« - Là ! » désigna Morac en percevant l'arrière train de l'arachnide s'immiscer dans une entaille.

La créature disparut l'instant suivant.

Les deux compagnons s'élancèrent à sa suite mais une fois arrivés devant la brèche, ils se regardèrent, peu rassurés à l'idée de pénétrer à l'intérieur.

« - Il a confiance en nous, déclara Fenwick. On ne peut pas le laisser. »

Morac approuva en serrant les dents. A la place de la Souris, il aimerait, bien sûr, que ses compagnons viennent le chercher. Fenwick passa devant lui, la torche toujours allumée, et il lui emboîta le pas.

Le trou était tapissé d'une matière visqueuse, et pour y entrer, ils furent contraints de se mettre à quatre pattes. La toile recouvrait la roche et leur colla aux mains. Fenwick grimaça de dégoût mais avança, la torche entre les dents. La chaleur de la flamme brûlait son visage mais pour rien au monde il n'aurait renoncé à cette lumière. Il pria pour que l'araignée de l'attende pas à la sortie, ou pire, que le passage ne débouche pas sur la cité de toile qu'ils avaient traversé la veille.

Le tunnel s'élargit, et bientôt, ils purent se relever. Mais il y avait des toiles de tissées dans tous les sens. Fenwick se rappela les paroles de Boeuzbrifouille. Les noyudas ne voient rien, n'entendent rien mais sont très sensibles aux vibrations. Il se retourna vers Morac pour l'inciter à faire attention.

« - Essayons d'éviter les fils qui sont tendus à travers la galerie. Peut-être qu'elle ne nous a pas encore repéré. »

Morac l'espérait mais n'aurait pas parié ses dernières eugords là-dessus. Ils avaient rampé dans un conduit étroit recouvert d'une toile qui avait pu fort bien l'alerter de leur présence.

Il ressortit son épée du fourreau, rengainé le temps de traverser la brèche, et suivit Fenwick en prenant soin de ne toucher aucun des fils tendus à travers le tunnel.

Un froid intense régnait autour d'eux et une odeur de corps en décomposition leur parvint aux narines. Le passage déboucha bientôt sur une large caverne circulaire et ils comprirent l'origine de ces émanations. Des cadavres jonchaient le sol, enchevêtrés dans des os rongés jusqu'à la moelle. Ils se trouvaient dans le garde-manger de la bête. Ils repérèrent le pauvre duergar emmailloté dans un fil gluant et épais, pendu au plafond par les pieds.

« - Où est passée cette saloperie ? » demanda Fenwick en balayant la caverne à l'aide de sa torche.

La réponse lui parvint lorsque la flamme passa près de la paroi. L'araignée, qui se tenait dissimulée dans une nouvelle faille, fut débusquée par le feu, et sortit de sa cachette en émettant un petit sifflement aussi sinistre que terrifiant.

 

                   Ulwar roula sur lui-même et évita de justesse la patte fibreuse qui s'abattait sur lui. La créature était dotée de deux pattes munies de pinces sous son thorax et à un souffle près, elle avait failli l'éventrer. Le colosse entendit la pointe racler le sol à l'endroit où il venait de s'assoupir.

Il rampa à toute vitesse sous l'abdomen de l'araignée, sentant ses poils caresser sa nuque, et s'extirpa de cette position le plus vite qu'il put. Il se retourna, prêt à en découdre, s'attendant à voir le monstre lui faire face. Mais l'arachnide ne s'était même pas retourné dans sa direction. Elle avait trouvé une autre proie… Une proie immobile et offerte… Comme lui quelques secondes plus tôt… Zénassi…

L'araignée grimpa doucement sur la paroi, et s'approcha sournoisement de l'amazone. Ulwar avait laissé sa hache près du sac qui se trouvait à côté de Zénassi. Il était désarmé. Que faire ? Encore quelques secondes et la créature plongerait ses terribles mandibules dans le cou de la jeune femme.

Ulwar se jeta alors sur l'arachnide, saisissant à pleine main l'une de ses pattes arrière. Le contact avec sa peau filandreuse ne lui fit ni chaud ni froid, il en avait vu d'autre. L'araignée se détourna de sa proie et au moment où elle s'apprêtait à y plonger ses crocs, Ulwar tira de toutes ses forces. Il sentit la patte se briser comme un baguette, et le monstre glissa le long de la roche.

Mais une fois sur le sol, la créature se retourna et le chargea. Ulwar, désarmé, n'avait aucune chance.

 

                   Fenwick demeura pétrifié d'effroi devant l'apparition monstrueuse. Le sifflement que la créature émettait lui rappelait le dernier son qu'il avait entendu avant que l'araignée ne plonge ses mandibules dans son omoplate. La douleur se réveilla au même moment dans son épaule, comme si son corps réclamait une nouvelle injection de poison.

La créature ne se trouvait plus qu'à quelques pouces de lui, il pouvait voir ses globes oculaires le fixer avec intensité. Pourquoi ne parvenait il pas à bouger ? Il semblait fasciné… Pétrifié de fascination…

Morac s'interposa au moment où elle tenta de le mordre. Sa lame claqua sur sa gueule entrouverte, et un bout de dent vola dans la caverne. L'arachnide se replia aussitôt mais Morac poussa son avantage en frappant de taille et d'estoc sur son thorax. Un sang épais et sombre coula le long de son corps. La créature émit un nouveau cri, plus strident que le précédent, plus plaintif, puis elle se redressa et contre-attaqua à l'aide des pinces qui se trouvaient à l'avant de son corps.

Morac para, puis d'un coup vif sectionna l'extrémité d'une patte. Emporté par son élan, grisé par son avantage, il ne vit pas le deuxième corps velu, sortir de la faille qui se trouvait à sa droite. Il était parvenu à acculer l'arachnide au fond de la grotte et lorsque celui-ci fut dans l'incapacité de reculer davantage, il plongea son épée dans son thorax répugnant. Il vit les viscères du monstre se répandre sur le sol mais n'eut guère le temps de s'en réjouir car dans l'instant qui suivit, une douleur fulgura dans toute sa colonne vertébrale.

 

                   L'araignée se redressa pour toiser cet adversaire dont la taille était impressionnante. Elle n'en avait jamais vu de si grand. Plus de deux fois la hauteur d'un duergar, et sûrement deux fois son poids. Un mets de choix, assurément savoureux, qu'elle mettrait plusieurs semaines à dévorer.

Ulwar hésita à fuir, mais ce n'était pas dans la philosophie de vie du zungarien. « Ne jamais tourner le dos à l'ennemi, regarder la Mort en face, ne jamais abandonner un compagnon, défier la Mort à deux. » Il entendait de nouveau les paroles de son père. Quelle étrange concours de circonstance que d'entendre la voix de son géniteur à l'aune de sa vie. Il avait si peu pensé à lui alors qu'il était vivant. Etait-ce l'annonce d'une mort imminente ?

Il se retourna, espérant voir son père l'accueillir au Tridaron, le paradis des guerriers, mais il n'y avait personne, il était seul. Inconsciemment, il avait espéré voir apparaître son ami, Timor, le seul qu'il ait jamais eu, son frère d'armes. Mais malgré la pénombre, la galerie était déserte. Aucune silhouette ne se profilait à l'horizon, et il avait une vue perçante… Il avait passé tant d'heures comme vigie au sommet d'une jonque, qu'il avait appris à voir loin, et bien. Il émit un son sourd du fond de sa gorge pour appeler Timor, ou au moins le prévenir du danger qui rôdait, mais celui-ci ne l'entendrait sûrement pas.

L'arachnide se dressa au-dessus de lui et il leva les bras pour tenter d'intercepter l'attaque. Mais l'araignée lâcha un gémissement strident et plaintif au moment de fondre sur lui, puis elle s'écroula en recroquevillant sous elle, ses pattes fibreuses.

Lorsqu'elle fut à terre, Ulwar perçut derrière le monstre, la silhouette de Zénassi, son épée longue entre les mains, la lame poisseuse de sang.

Les araignées de Breth Harken (suite et fin)
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E
Quel plaisir de passé dans ton univers je partage bonne soirée à toi bisous
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