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La traversée du désert

La traversée du désert

Il est un virus sournois qui guette les auteurs, les mine de l’intérieur, vous voyez j’en suis sûr, de quoi je parle, oui, vous l’avez deviné… Le manque d’inspiration, celui-là même, qui engendre chez moi une certaine forme de découragement et de paresse… Alors pour briser ce maléfice, car c’en est un, je me rabats sur la lecture et le cinéma… Mais l’envie n’est plus là… Relater ce qu’un autre a raconté alors que vous n’êtes plus en mesure d’aligner trois phrases, est désespérant. De quel droit pourriez-vous juger, critiquer le travail d’autrui alors que vous êtes en panne sèche… Qu’on me donne l’envie, putain… Tiens, ça me rappelle une chanson… Oui, l’envie d’avoir envie… Un barde qui lui a trouvé son public, ce qui n’est pas mon cas, loin s’en faut…

- Eh oh, tu ne vas pas te lamenter sur ton sort toute la journée, des auteurs en attente d’éditeurs, j’en ai une liste longue comme le bras, alors ressaisis-toi ! Tiens, tu vas me pondre au débotté, une chronique dont tu as le secret !

Inutile de vous présenter mon complice, Harken, toujours en embuscade, qui me suit comme mon ombre, mais c’est normal, c’est une ombre, un voleur, rappelez-vous… c’est aussi mon fidèle ami, qui sait trouver les mots pour me remotiver, car son intervention me pique et me pousse à réagir !

- Débotté, rien que ça ! Quelle belle expression ! D’où la tiens-tu ?

- Avant que tu n’ôtes tes bottes, je veux que tu me pondes une chronique, insiste Harken. Cela fait un mois que tu n’as pas aligné deux mots, tes tergiversations ont assez duré. Tu reprends la plume et tu écris, n’importe quoi, mais tu écris ! C’est de là que vient cette expression, je te prends par surprise, tu n’as pas le temps de retirer tes bottes, que hop, à la fin de l’envoi, je touche !

Il s’élance vers moi, la dague tirée et fait mine de vouloir m’embrocher. Je n’ai que le temps de reculer pour voir l’extrémité de sa lame rencontrer le vide. Ah mais le bougre, c’est qu’il l’aurait fait ! Si je n’avais pas fait ce pas en arrière, sa pointe aurait trouvé ma poitrine. Nous sommes en pleine nuit, au beau milieu de Kos, dans une de ses ruelles malfamées, à braver le couvre-feu instauré par le nouveau gouverneur général.

- Tu nous rejoues Cyrano, m’esclaffai-je. Tu veux que j’ôte mon beau panache blanc, que j’extirpe mon espadon et que je te désarme en déclamant !

- Tu n’as qu’un vilain foulard élimé en guise de panache…

- Et une piteuse épée en lieu et place d’espadon…

- Quant à me désarmer, n’y compte même pas !

- Méfie-toi, beau-parleur, ce n’est pas l’adresse qui me fait défaut…

- Ce sont tes mots, je le sais ! Redis-le encore une fois et je te jure que je t’enfile ma lame jusqu’à la garde dans ta bedaine constipée !

Sa remarque m’arrache un sourire, et peut-être mon premier bon mot depuis une éternité.

- Ah je confirme, ce n’est pas du Rostand que tu nous sers, point de vers dans ta bouche, mais des expressions de charretiers !

Harken se fend d’une nouvelle botte que j’évite de justesse d’un pas sur le côté. Cette fois, je dégaine mon épée. Puisqu’il veut se battre, allons-y !

- Tu ne comprends donc rien, Breth, les vers doivent être servis par le barde, et non le voleur. C’est à toi qu’il revient l’honneur de faire de la poésie, pas à moi !

- Oui, bien sûr, toi, tu te contentes d’estourbir, de narguer, de voler…

- Et toi, de conter mes exploits, rétorque-t-il, tout sourire en se fendant vers moi à la vitesse de l’éclair. Sans une parade de ma part, il m’aurait tailladé le flanc. Le bougre se laisse emporter, il ne plaisante pas. C’est comme tes chroniques, tu écrits, tu écrits, et à la fin, le véritable héros, c’est moi !

- Tu dis cela, mais qui les a lues, ces fameuses chroniques ? Personne ne les connaît tes fichus exploits !

Pour toute réponse, Harken se fend sur sa dextre, m’obligeant à une parade maladroite, puis il contourne ma défense et me pique le bras. La lame s’enfonce sur quelques centimètres et m’arrache un cri de douleur. Le sang ne tarde pas à perler, ce qui fait sourire mon compagnon.

- Je t’ai prévenu, je ne veux plus t’entendre geindre ! Réagis, défends-toi, reprends-toi !

Je vois… Ce n’est pas un duel commun qu’il me propose.

- Tu veux me faire la leçon, toi le coupe-jarret sans envergure ! Le monte-en l’air qui ne vit que de rapines et de mauvais coups !

- Sans envergure, ça non, je ne puis te laisser dire ça, je suis le plus grand voleur de Kos !

Je contre-attaque d’une botte secrète qui l’oblige à reculer d’un pas, puis d’un second. Il heurte le mur derrière lui et se baisse juste à temps pour ne pas être décapité. Moi non plus, je ne plaisante plus. Il va me payer le trou dans mon beau pourpoint, et les tâches de sang qu’il va me falloir frotter des heures pour faire disparaitre.

- Facile de s’autoproclamer le plus grand voleur de Kos ! Quel jury t’a donc remis ce prix ?

- Le même que celui qui t’a décerné auteur de fantasy de la décennie !

La rage m’envahit et de deux habiles moulinets, je l’oblige à nouveau à battre en retraite.

- Je te l’ai dit, ce n’est pas l’adresse qui me fait défait, mais les mots !

- Non pas, l’ami, pas les mots, l’envie !

Et il me tombe alors dans les bras pour une accolade virile et amicale. Je grimace au contact de sa main sur ma blessure.

- Ne baisse pas la garde, moi, je conserve espoir. Alors toi, que dois-tu faire ?

- Garder l’espoir aussi, répondis-je, pris au dépourvu par cette question des plus directes. Ce n’est pas la réponse qu’il espérait, à voir sa mine défaite. Retrouver l’envie, ajoutai-je doucement.

- Oui, l’envie, c’est cela… Elle est source d’inspiration. Et tu vas me le prouver en publiant avant demain midi, une nouvelle chronique, peu importe laquelle ! Mais une chronique avec un début, un développement et une fin ! Pas trop longue pour que nos amis puissent la lire sur les réseaux, tu sais que si elle excède deux feuillets, ils passent à autre chose !

- Deux feuillets, c’est long, tout de même !

- Pas si le talent est de retour ! Le temps est subjectif. Il est des pavés qui se lisent d’une traite, des romans qui ont ce pouvoir d’arrêter le temps, alors que de courtes nouvelles paraissent interminables tant elles sont mal tournées ! Allez, va, tu ne me feras pas l’économie de ces deux feuillets ! Ecrits, et demain, je te rincerai le gosier !

N’allez pas croire que l’hydromel m’a motivé, mais je ne sais pas, les mots me sont venus tout seuls, sans savoir au début de cette chronique comment j’allais la terminer. Mais voilà, c’est fait, la chronique est pondue, et j’ai soudainement le gosier très sec. En tous cas, l’envie est de retour, vous n’attendrez pas un mois pour avoir le plaisir (j’espère) de lire une nouvelle chronique.

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M
Salut, vraiment sympa cette chronique, je vais aller en découvrir plus ????
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