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Terrible descente aux enfers !

Illustration de Dorian Cleavenger /

Illustration de Dorian Cleavenger /

Dois-je rappeler l’épisode précédent ? La joie et la fierté qui étaient miennes au moment de découvrir mon manuscrit à la vente ? « La trahison des alchimistes » aux éditions Baudelaire (pub) ? Est-il nécessaire de vous redire le plaisir éprouvé à la vue de tout ce monde venu me congratuler ? Non, vous lisez ceci pour savoir quelle tuile m’est encore tombée sur la tête ? Comment ce rêve éveillé a tourné en cauchemar ! Alors, vous n’allez pas être déçus…

Il n’empêche que ma première séance de dédicace a conduit dans mon lit, ma première admiratrice, la belle Keitlyne. Tout était bien réel, je vous l’avais promis. J’ai fini par m’endormir, terrassé par un bonheur gâché juste avant de trouver le sommeil par un fait que je préfère taire.

C’est en pleine nuit que les événements ont pris une tournure inquiétante. Pourtant, quel homme n’a pas rêvé d’être éveillé par une main douce et caressante glissant sur son torse… par un murmure sensuel, un souffle qui épelle votre nom de la plus torride des manières ? Qui ? Et là encore, point de rêve. Je préfère ne pas entrer dans la description de la réaction anatomique de mon bas ventre et passer directement au moment où j’ai ouvert les yeux, extirpé de cet odieux sommeil par celle que je croyais être Keithlyn.

Mais lorsque je me réveille enfin, ce n’est pas mon admiratrice qui se tient au-dessus de moi, c’est une autre femme… Tout aussi charmante, nue, la poitrine fièrement dressée, un corps de rêve aussi, mais à la chevelure flamboyante et au regard de feu… d’ailleurs, ces longues mèches rousses finissent par de jolies courbures qui font songer à des flammes… Les flammes de l’enfer… Cette femme sourit et me révèle alors une dentition redoutable ? Des incisives proéminentes qui n’aspirent qu’à se planter dans mon cou. Cela déforme son visage, la rend plus carnassière, plus démoniaque. Je débande d’un coup. Je reconnais ma succube…

- Ko… Ko… Kora Sahn ! parvins-je à peine à articuler.

- En personne mon cher Breth.

Elle se penche sur ma nuque et fait glisser sa longue langue serpentine contre ma peau, jusqu’à mon oreille. Je suis pétrifié.

- Je suis déçue que tu aies tenté de me tromper avec la première venue, poursuit-elle en se dandinant au-dessus de moi. Mais bon, tu n’as pas été à la hauteur, ton succès a un prix. Tu m’appartiens, je te rappelle !

Ainsi c’est à elle que je dois l’humiliation de ma débandade de tout à l’heure. Curieusement, cela me donne du courage. Je retrouve un semblant d’aplomb.

- Je vous ai vendu mon âme, pas le reste !

Kora Sahn passe ses longs doigts fins et griffus sur ma poitrine et commence à me griffer douloureusement. Je serre les dents pour ne pas gémir. Pas question de lui faire ce plaisir.

- Breth, tu joues sur les mots. Vendre son âme, c’est la formule usuelle. Bien sûr que tout en toi m’appartiens. Ton âme, j’attendrai après la mort, mais pour l’heure, je peux bien jouir du reste, non ?

- Euh…

- Tu préfères mourir tout de suite peut-être ?

- Non, mais…

Elle sourit, sa mâchoire est redoutable, et terrifiante. Je n’en mène pas large, je suis pétrifié et bien incapable de la faire jouir.

- Tu as goûté au plaisir du succès, Breth. Ton livre se vend bien, ton nom est reconnu dans toute la ville et bientôt dans tout le Royaume. J’ai rempli ma part du contrat, ne t’avais-je pas garanti cela ?

- Si, si, mais…

- Arrête donc avec tes mais ! Il n’y a pas de mais qui tienne ! Tu es en mon pouvoir désormais. Je suis une femme sensible et jalouse, tu ne peux pas t’envoyer en l’air avec la première venue, je ne l’accepte pas ! Ce serait comme un coup de poignard dans le dos… Un coup de canif dans le contrat, si tu vois ce que je veux dire ?

Je m’imagine alors le pire ! La fin de mon succès, la déchéance, la mort peut-être même ! Et ensuite mon âme rôtie à la broche par cette vilaine démone ! D’ailleurs elle repousse sa cape et déploie ses ailes impressionnantes. Ce sont des membranes en cuir, fines et solides à la fois, semblables à celles d’une chauve-souris.

- Tu n’auras plus d’autres femmes que moi dorénavant, » décrète-t-elle d’une voix qui n’a plus rien de sensuelle. C’est même une voix gutturale. « D’ailleurs, il te sera physiquement impossible d’honorer qui que ce soit d’autre, tu as pu le constater tout à l’heure, mon petit chéri… »

Ce « mon petit chéri » moqueur est terriblement humiliant. Elle me condamne à une vie de chasteté ! Elle est folle si elle croit que je vais rentrer dans les ordres !

- Je ne veux plus de ce succès, je veux pouvoir vivre comme je l’entends et baiser qui je veux, comme je veux !

Cette vie de cocagne qu’elle me promet me redonne un peu de courage et de volonté. J’ose la saisir par les bras et tente de la faire basculer sur le plancher. Qu’elle quitte mon lit sur le champ ! Je n’ai que trop longtemps subi son joug ! Mieux vaut mourir debout que vivre à genoux. Encore que là, je ne suis pas vraiment debout, et la tentative pour la renverser ne la fait pas bouger d’un iota. Elle demeure au-dessus de moi, impassible et souriante, pas impressionnée pour deux sous par ma tirade, et pas déséquilibrée le moins du monde par ma piteuse tentative.

- Il n’y a pas de retour en arrière possible, Breth ! Tu vis sous conditions… Avec ton succès mais aussi avec les contreparties que je fixe. Tu en découvriras d’autres bientôt !

Je me débats pour montrer mon refus et tente de me relever. Je rêve de lui briser la mâchoire d’un violent coup de boule, mais elle me maintient fermement sur le lit avec ses genoux, et me plante ses griffes dans le torse. Cette fois je hurle. Je suis prisonnier de sa volonté.

- Non mais ça va pas !

Keithlyne se penche au-dessus de moi. J’ai le regard effaré et terrifié d’un homme qui vient de côtoyer son pire cauchemar. Je suis aux abois, je cherche Kora Sahn partout dans la chambre. Mais elle a vidé les lieux, et mon hurlement vient de réveiller ma pauvre petite admiratrice.

- Alors non seulement, tu es le plus mauvais coup de la ville, mais en plus, tu hurles en pleine nuit !

Elle m’enjambe et quitte le lit. Elle est nue, elle est belle, mais elle me laisse indifférent. Je suis bien maudit.

- Adieu Breth ! Je te laisse à tes cauchemars d’enfançon ! Dit-elle en se couvrant de ses vêtements demeurés éparpillés sur le sol, témoins de turpides promises mais non honorées.

Elle claque la porte derrière elle, et le rire sinistre de Kora Sahn envahit aussitôt toute la pièce. Je suis bien maudit et j’en mesure seulement maintenant les terribles conséquences.

Illustration de Froideval

Illustration de Froideval

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