Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

La mort d'un géant

La mort d'un géant

Aznavourian est mort ! La nouvelle m’a remué au point de m’obliger à prendre une chaise et me rasseoir. Bon, c’est vrai que j’allais quitter l’auberge et que j’avais un peu abusé de l’hydromel.

Aznavourian est mort ! Le plus grand des troubadours, celui que l’on croyait immortel, celui qui avait donné envie à tous les bardes, de s’essayer à la chansonnette, est mort dimanche !

L’arme à l’œil je me souviens de ses titres qui ont bercé mon enfance et fait naître ma vocation de barde… C’est vrai qu’il n’était plus tout jeune, le gnome ! Oh n’y voyez aucune moquerie de ma part, il n’était pas bien grand et dans le cercle fermé des bardes, nous le surnommions affectueusement « le gnome »… Mais du haut de son mètre soixante-cinq, il nous dominait de son talent. Il s’en est allé alors qu’on le croyait immortel !

Aussitôt l’idée de sa mort acceptée, mais peut-on seulement refuser ? Une autre idée germe dans mon esprit… Celui de lui rendre hommage…

 

- Oui, ça c’est une foutue bonne idée, me dit Harken en me croisant à la sortie de la « fesse heureuse » (notre taverne, je le rappelle pour ceux qui n’aurait pas suivi toutes nos chroniques, et oui, il y en a 😉

 

Oh je le connais mon Harken, le gredin n’est pas désintéressé par l’idée de ce concert improvisé. Il m’emboîte le pas en espérant ensuite, durant ma prestation, délester quelques patriciens de leurs bourses sonnantes et trébuchantes.

Et voilà comment on se retrouve sur la grand place du marché, avec sa harpe et son luth, à interpréter les succès du plus grand des troubadours. Ce tour de chant improvisé me plaît beaucoup, c’est mon métier de faire vibrer les cordes et les cœurs, et à la foule qui s’amasse peu à peu, je suis heureux de constater l’amour que la plèbe lui portait. Tous fredonnent avec moi, communient en pensée avec le grand homme, se souviennent de la première fois où ils ont entendu ces airs, et je maudis bientôt mon ami qui profite du recueillement de la foule pour les alléger de quelques pièces.

Le rufian fait feu de tous bois, il est dépourvu de toute morale…

Mais bientôt, mon attention, et celle de mon auditoire est détournée vers un jeune homme qui fend la foule comme s’il avait le diable aux trousses… Je comprends bien vite les raisons de son empressement, et des bousculades qu’il provoque, le bougre est poursuivi par une dizaine de cavaliers qui renversent tout sur leur passage, hommes et étalages, sans le moindre égard, et en hurlant à tue-tête des ordres et des insultes.

Ces gaillards mal embouchés osent gâcher mon récital, couvrir de leur jurons, les vers bien assemblés du grand troubadour. Je boue, j’enrage, je descends de mon estrade improvisée et décide alors de couvrir la fuite de ce jeune homme, réfugié, je le vois, sous l’étal d’un marchand d’armes. J’aperçois aussi mon ami Harken juste devant pour le dissimuler à ses poursuivants. Lui, il sait ce que signifie prendre les jambes à son cou… Plus d’une fois il s’est retrouvé dans la situation de cet homme. Savoir courir, et vite, est la qualité première d’un voleur. Une compétence à valider dès l’apprentissage si l’on veut faire de vieux os dans la profession. Alors l’instinct de solidarité a joué immédiatement chez lui. Peut être pense-t-il d’ailleurs que ce fugitif est comme lui un monte-en-l’air ? Solidarité de caste…

Mais peut être qu’il n’en est rien, qu’il est injustement persécuté. Avec la garde comtale, ce ne serait pas étonnant. Ce sergent, je le connais, ce n’est pas un modèle de vertu, encore moins un modèle de justice…

 

- Comment osez vous interrompre l’hommage que j’étais en train de rendre au grand Aznavourian ?

 

Le sergent, du haut de son bourrin, crache un glaviot à mes pieds avant de me répondre.

 

- J’ose au nom de la justice du comte ! Ote toi de mon chemin, musicien, ou je t’écrabouille, toi et tes instruments !

 

Il y a du mépris dans ses propos, et de la moquerie dans son regard. Mais je sens la foule de mon côté et cela me donne des ailes.

 

- Vous troublez l’ordre public alors que vous êtes censé le faire respecter !

 

Le sergent fait des yeux ronds, surpris visiblement qu’on ose lui tenir tête.

 

- Qu’est-ce que t’as pas compris dans « ôte toi de mon chemin » ?

 

- Que lui voulez-vous à cet homme ?

 

- Juste lui payer un coup, rétorque le sergent en riant.

 

Sa remarque, qui se veut drôle, provoque l’hilarité forcée de ses hommes derrière lui.

 

- Ben je sais pas, tête de nœud, l’obliger à répondre de ses actes par exemple. Est-ce que quelqu’un a vu ce morveux ?

 

Il s’adresse à la foule et je suis heureux qu’il n’obtienne de sa part, aucune réponse. Dans mon métier, on appellerait cela un four…

 

- Et quels actes abominables a-t-il pu commettre qui puissent justifier de mettre à sac la grand place et troubler ma représentation ?

 

Je redoute un instant sa réponse. S’il me dit qu’il vient d’égorger un enfant, violer une femme ou incendier un temple, je vais avoir l’air fin. Mais ce n’est heureusement pas la réponse qu’il me lâche, toujours avec ce même air dédaigneux.

 

- C’est pas tes oignons, ménestrel ! Contente toi de pousser la chansonnette et te mêle pas des affaires des grands ! Tu l’as vu mon fuyard ? Il est passé devant toi, je te conseille de m’indiquer la direction qu’il a suivie !

 

Je soupire et prend un air résigné.

 

- Ma dévotion à la justice comtale m’oblige à vous répondre.

 

Je me tourne et lui indique alors la direction opposée en priant secrètement que personne ne vienne me contredire. Mais la foule au contraire appuie ma réponse et se tourne également dans la direction que j’indique. Le sergent éperonne alors sa monture et les cavaliers repartent au trot. Au fur et à mesure qu’ils disparaissent de mon champs de vision, des applaudissements se font jour. Je comprends alors que la plèbe me remercie d’avoir tenu tête à cette face de pet, qu’ils manifestent leur gratitude dans cet acte de résistance et de solidarité que le grand Aznavourian aurait, j’en suis persuadé, approuvé.

 

Je me dirige alors vers l’étal où mon fuyard s’est caché sous les regards reconnaissants de la foule. A chaque pas qui me rapproche de lui, je me demande qui est cet homme et ce qu’il a fait pour s’attirer le courroux de la garde. Vous aussi, j’imagine… Enfin j’espère… Vous le saurez bientôt, promis, ce sera l’objet de ma prochaine chronique.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
E
Très beau ce que tu dit belle hommage bonne journée à toi bisous
Répondre