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Une première recrue

Une première recrue

                   La taverne des aventuriers à deux balles n’a rien d’engageant et tout en me rapprochant du comptoir, à l’autre bout de l’entrée, j’ai les yeux qui scrutent chaque alcôve, chaque once d’obscurité, chaque visage, que mon intrusion a semblé réveiller. Et je ne suis pas assez niais pour croire que l’attention que j’attire est due à ma nouvelle notoriété. Pas un ici ne sait lire, pas un ne possède assez de jugeotte pour préférer dépenser ses pièces dans un livre plutôt que dans une chope !

Je m’approche du comptoir, les mains sur mes deux sacoches remplies d’or, et comble de l’horreur, je crois entendre tinter les pièces à chacun de mes pas. Malaise, malaise… Ce n’est pas une entrée des plus discrètes, j’en conviens, mais après tout, je suis ici pour attirer l’attention et recruter les meilleurs aventuriers de la cité.

- C’est bien qu’est-ce que je crois que c’est qui tinte dans tes sacoches ? Me lance le tenancier.

Il a un accent nordique à couper au couteau et il accompagne sa remarque d’un sourire, qui me laisse percevoir une dentition parcimonieuse.

Il est jeune, ce n’est pas l’âge qui a gâté sa dentition, mais aux bleus autour de l’œil et à son oreille à moitié rafistolée avec des boucles d’un gout douteux, je dirais plutôt que monsieur est chamailleur. D’ailleurs, il est plutôt du genre musculeux.

- Je viens dans ton établissement pour y recruter les meilleurs aventuriers du Royaume, alors il me faut un peu d’espèces sonnantes et trébuchantes pour être pris au sérieux.

On n’attire pas les mouches avec du vinaigre, je sais d’expérience qu’il faut montrer la solde pour que les plus sérieux daignent me suivre. Le menu fretin, je saurais les envoyer paître ! Maintenant, le risque, c’est de passer pour un bon gros pigeon à plumer, mais j’ai mon arme fatale avec moi, celle qui m’a toujours tiré des mauvais pas (et mis aussi dans les situations les plus désespérées)… Mon bagou, ma parole, ma voix !

- Alors je va te réserver la salle des mercenaires top level qui se trouve à l’étage. Au rez-de-chaussée, c’est le bas de gamme, si j’indique l’étage, les clients, ils savent que c’est mieux payé mais qu’il y a du danger, parce qu’il y a du danger, pas vrai ?

- Heu oui, en effet.

Elle est con sa question. Si je dis qu’il y a du danger, ils vont tous déguerpir, non ? Et en plus je vais devoir payer plus… Putain, le pigeon…

- Parce qu’à l’étage, je te conduis que des palads confirmés, des sorcelards qui te pétrifient d’un regard, pas des morveux tout justes capables d’allumer un feu, des rôdeurs qui te pistent une biche encore pucelle juste à l’odeur qui flotte dans l’air ! Alors, c’est sûr je te les envoie à l’étage ?

- Oui, oui, l’étage, c’est très bien…

- Mais c’est plus cher, mon gars, me souffle-t-il en souriant de nouveau. Montre moi tes belles ferrailles qui tintent dans ta sacoche, et je te rabats les meilleurs compagnons dans l’heure !

La vie a repris son cours dans l’auberge, mais j’ai quand même l’impression que tout le monde a suivi la conversation. Je me sens de plus en plus dans la peau de ce pigeon à plumer. Peut être aurais-je dû me faire accompagner d’un mastodonte comme garde du corps ? Sauf que je suis ici pour justement en recruter des mastodontes, enfin pas que ce genre-là car je doute qu’il soit d’une réelle efficacité contre une succube ?

Je me penche discrètement sur le comptoir et ouvre une sacoche pour lui en révéler le contenu. Ses yeux semblent prendre le même éclat que mes pièces, et son sourire s’agrandit pour me révéler l’absence de dents même au niveau des molaires. Il m’invite à le suivre dans l’escalier derrière le comptoir.

- T’as de la chance, dit-il en se retournant vers moi aux pieds des premières marches. Aujourd’hui, t’as tout le gratin de Kos réunis dans l’tripot, un convoi en provenance de Gorfalen est arrivé hier, y’a de la compétence.

- Je veux pas de chameliers ou de conducteurs de chariots, je te préviens, y’a du risque mais du fric à gagner !

- Détends toi l’ami, t’es au bon endroit pour ça. Je vais t’envoyer des types qui veulent gagner du fric mais qui rechignent pas à la besogne, surtout s’il y a des risques à prendre. C’est pas des couards que je va t’envoyer !

Il me mène dans une grande chambre mais s’empresse de pousser le lit et les coffres pour me faire la place, puis il approche une table et deux chaises pour les placer face à moi. Je prends place immédiatement, étonné malgré tout par cette seconde chaise.

- Pourquoi deux chaises ?

- Parce que je suis ta première recrue, c’est comme ça que ça fonctionne ici, celui qui tient la baraque est un mercenaire redevable de la guilde qui est propriétaire de la taverne. Il bosse gratis jusqu’à ce qu’il soit engagé et reverse la moitié de sa solde à la guilde une fois la mission réussie. Ca fait dix jours qu’il s’est pas présenté un pèlerin cherchant à recruter qui que ce soit ! Dix jours que je sers des pintes, supporte des haleines fétides, et rince des godets, peu m’importe ta mission, je suis ton homme !

- Mais je n’ai même pas dit de quoi il s’agissait, ni combien j’allais payer !

- C’est toujours plus glorieux que de rincer des gosiers à longueur de journée. J’ai confiance en toi, t’as une jolie mine.

Jolie mine ? Sauf que moi, ta mine ne m’inspire pas confiance. Il se penche vers moi et arrache sa petite chemise de lin, laissant apparaître une poitrine duveteuse, mais surtout des pectoraux impressionnants. Il prend un air bizarre pour gonfler sa poitrine, je le trouve étrangement gai, soudain. Heureux de partir à l’aventure ? Un spécimen que je n’avais pas rencontré auparavant, sinon, je me serais plus méfié…

- Je ne recrute que des hommes de talent, tu n’as aucun talent…

Il se saisit de ma main et l’attire avec autorité vers sa poitrine découverte. Qu’est-ce qu’il fout ? il est pas bien…

- Et ça, y’a beaucoup de types, tu crois qui savent le faire ?

Sous la paume de ma main, je sens son cœur battre à tout rompre, et soudain, son téton se met à bouger, non, à tressauter littéralement. Sous mon regard éberlué, dépassé, et niais (oui, tout à la fois), je le vois et je le sens sous mes doigts, faire palpiter ses pectoraux.

- C’est pas un talent peut être ?

Utile s’il veut danser devant un parterre de femmes excitées comme des pucelles en chaleur, mais je doute que Kora Sahn ne soit sensible à ce charme et ce talent. Au moment où je m’apprête à retirer ma main, il me la retient de force, et je suis alors incapable d’esquisser le moindre mouvement.

- Sinon, j’ai un autre talent, ajoute-t-il, l’air plus pernicieux que jamais. Mes poings assomment quiconque les reçoivent en pleine tronche ! Tu veux tester ce talent ou tu m’engages ?

C’est vrai que ses poings sont énormes, et ses biceps impressionnants. Je n’ai pas très envie de tester ce deuxième talent.

- Tu peux faire l’affaire, je t’engage pour dix pièces d’or.

- Vingt, c’est le tarif pour le top level, sinon, après, tu vas recruter que des tocards, et j’ai pas envie de me retrouver dans une compagnie de tocards.

L’enfoiré a aussi le sens des affaires… Je ne sais pas pourquoi, mais je trouve mon affaire assez mal engagée… Mais je tope quand même car il est en train de me briser la main, l’enfoiré.

- C’est bon, t’es mon premier mercenaire, à qui ais-je l’honneur ?

- Goliath Poigne-gay

Tu parles d’un nom.  Je l’inscris sur le parchemin qui fait office de contrat, avec la solde promise, et lui tend la plume pour le faire signer. Il s’en saisit mais s’assied à mes côtés pour parapher. Je lui trouve un air bizarre. Son sourire est presque trop gay pour être honnête, et son regard est devenu attendrissant. Une brute au cœur d’artichaud. Son genou frôle le mien lorsqu’il s’assied sur la seconde chaise, je suis de moins en moins sûr de ce premier recrutement… Et vous ? Comment le sentez-vous ? Les autres recrues seront-elles du même acabit ?

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