Servitude de Eric Bourgier et Fabrice David

16 Janvier 2019

Mon cher Breth, après ma présentation, lors de la dernière décade, d’une BD jeunesse de bonne qualité (« légendes de la garde » de David Petersen), je voudrais te faire découvrir du lourd…du très lourd…du très très lourd. Je m’en excuse par avance auprès des auteurs, Bourgier et David, je ne suis pas ménestrel et seul un ménestrel, tel que toi, mon cher Breth, aurait pu rendre l’hommage que mérite véritablement cette œuvre, que dis-je, ce chef d’œuvre.

Je m’y risque quand même…Toutefois, amplifiez par 10 au moins tout ce que je vais dire ci-après…

Je t’entends déjà m’interrompre pour me dire : « tu ne crois pas que c’est un peu tôt pour parler de chef d’œuvre alors que le cycle n’est pas encore fini ».

Il est vrai qu’il arrive parfois que l’on s’emballe pour un premier tome (BD ou roman) et l’on crie trop vite au chef d’œuvre, car il s’essouffle dans la suite du cycle et d’en conclure : c’est bien, mais ça avait le potentiel d’un chef d’œuvre.

Ici, 5 tomes sont déjà sortis et à aucun moment je n’ai douté du talent des auteurs.

Précisons d’ores et déjà que le 6^ème tome devrait clore l’histoire, mais qu’il est difficile de se dire à quel moment ce bijou sortira, étant rappelé que les auteurs mettent en moyenne 2,5 ans pour sortir un tome (le premier date de 2006 et le cinquième est sorti courant 2018) ; dès le début les auteurs avaient annoncé 5 tomes, mais avec la richesse de l’histoire, un sixième s’est avéré indispensable (les auteurs sont tout pardonnés).

L’histoire se déroule dans un univers médiéval fantastique qui s’articule autour de trois peuples : les Fils de la Terre, les Drekkars et les Iccrins ayant pour ancêtres légendaires respectivement les Géants, les Dragons et les Anges.

Il va être question de légendes, de peuples ancestraux, de luttes de pouvoirs, de combats, de trahisons, d’un souffle de magie, d’espoir de libération…

Le premier tome nous permet de découvrir le premier peuple, celui des Fils de la Terre, non sans rappeler les peuples médiévaux d’Europe. Le Roi marie sa fille à son maître d’arme, mais ce dernier n’a pas le temps de goûter aux plaisirs de la fête puisqu’il est envoyé sur les lieux d’un drame récent qui a vu l’élimination d’une des légions royales. Il doit donc d’abord demander des comptes au vassal du roi ayant ses terres proches du drame. L’histoire est lancée…Trahison et complots. Mais aussi manipulation car les Drekkars, ne sont pas loin (il s’agit du deuxième peuple dont il est question dans cet univers, faites un effort pour suivre, un peu).

Ainsi, le second tome permet de découvrir les Drekkars, peuple organisé en Empire, faisant penser au Japon médiéval. Ce tome permet de mieux comprendre leurs intérêts leur immixtion dans la sphère des Fils de la Terre. Mais le monde des Drekkars n’est pas monobloc : on y découvre des luttes internes, des alliances, des trahisons, des enjeux politiques en opposition.

Le tome trois est un opus intermédiaire mettant en avant une énorme et somptueuse bataille.

Petit aparté : l’univers de Servitude est tellement fouillé qu’à la fin de chaque tome les auteurs ont inséré des annexes qui ajoutent un éclairage sur les peuples, leurs traditions, leur organisation politique, les personnages,…En annexe du tome trois, la bataille est relatée pratiquement heure par heure avec des cartes à l’appui pour suivre son évolution. Du très grand art !

Le tome quatre permet de découvrir les Iccrins, peuple éloigné des deux autres puisqu’ils vivent dans les hauteurs, au sommet de ce qu’ils appellent des « Piliers » et ne relient le reste du monde qu’à bord de « bateaux volants » et ce, grâce à la magie d’Infants, enfants protégés du reste de la population mais noyés de souffrance dans l’exercice de leur magie… Ce peuple n’est pas sans laisser penser par son organisation politique à la République romaine au sein duquel on découvre une société conservatrice menée par des patriciens qui refusent l’ouverture au monde alors que d’autres au contraire désirent s’impliquer dans la marche des peuples situés au bas des piliers…Je te rassure, mon cher Breth, ce n’est pas un cours de sociologie où l’histoire ne serait qu’un prétexte à étudier des peuples imaginaires ; bien au contraire, chaque tome est bien la poursuite d’un scénario très riche.

Ainsi, si l’éclairage est mis sur les différents peuples, on découvre à chaque tome de nouveaux intervenants, de nouveaux enjeux mais dont les ramifications vont se rejoindre dans le cinquième tome, qui devait être le dernier, mais dès lors également dans le sixième tome qui devrait clore l’histoire.

Attention, mon cher Breth, ce n’est pas une BD à lire dans une salle d’attente de médecin ou à la mi-temps d’un match de ton sport favori. L’intrigue est vraiment riche, dense et demande une lecture plutôt attentive. Si l’histoire est prenante, que dire du dessin ? Il est tellement fin, précis, beau, dans des tons sépia, que même avec une histoire bidon la lecture de cette BD aurait été indispensable.

Les personnages sont ciselés, les bâtiments majestueux et très soignés, les plans larges somptueux, les plans serrés emplis de mouvements et d’expressivité….

Le dessin est, vous l’aurez compris, extraordinaire.

Bref, cette BD, c’est du très grand art et les auteurs ont bien raison de prendre leur temps entre chaque tome pour nous produire du grandiose à chaque fois.

Pour les notes, je n’en mettrai pas, car je serais tenter de mettre 6/5, mais je crois que ce n’est pas possible…

PS de Breth : voilà ce que j’appellerai une critique dithyrambique. Je n’ai pas souvenir avoir été aussi emballé que toi à la découverte de cette BD, mais au moins auras-tu réussi à me donner envie de me replonger dans son univers.

Une planche tirée de l'excellente BD "Servitude"

Servitude (tome 5)